Si dans un premier temps, les préoccupations quant aux conséquences psychologiques de la crise du CVID-19 se sont focalisées sur le personnel soignant, au fil des semaines, le spectre s’est élargi au grand public. L’épidémie et le confinement ont indubitablement été source d’anxiété accrue pour les personnes, qu’elles aient eues ou non des antécédents psychiatriques. Plusieurs enquêtes ont vu le jour, qui nous permettent aujourd’hui, alors que nous sortons progressivement du confinement, de tirer les premières conclusions sur les effets de la crise sur la santé mentale des Français et de se projeter quant aux zones de vigilance, notamment en matière de prévention du suicide.
Détresse psychologique et sommeil perturbé
Après deux semaines de confinement, 74 % des adultes rapportaient déjà des problèmes de sommeil, la moitié d’entre eux estimant qu’ils étaient apparus avec le confinement. Six fois sur dix, ces problèmes ont eu un impact sur la vie quotidienne.
37 % des enquêtés présentaient des signes de détresse psychologique (étude COCONEL). Celle-ci était nettement plus fréquente au sein des milieux défavorisés, en lien notamment avec les conditions de logement. Les personnes souffrant d’une détresse psychologique ont un risque accru de troubles psychiatriques, en particulier anxieux, dépressifs et liés au stress post-traumatique. La prévalence de l’anxiété, qui était de près de 30 % à une semaine de confinement a cependant chuté à moins de 20 %, faisant dire à Santé Publique France que « le con finement, envisagé comme un facteur de risque pour la santé mentale, aurait plutôt agi pour une majorité de la population comme un facteur de protection contre l’anxiété, en réduisant efficacement le risque d’exposition au virus ».
Conduites addictives
Certains se sont trouvés privés de l’accès aux drogues illicites qu’ils consommaient, du fait du confinement, ce qui les conduit à un sevrage forcé. À l’inverse, ceux qui sont parvenu à les acheter ont pu majorer leur consommation (de même que celle de l’alcool et du tabac). Dans une étude publiée le 7 mai, Santé Publique France constate une augmentation de la consommation de psychotropes de +3%. L’addiction est fréquemment accompagnée d’une pathologie psychiatrique qui a rendu plus vulnérables au stress du confinement. D’autres facteurs ont été aggravants comme la cohabitation avec la famille ou au contraire la solitude et la précarité sociale accrus. Par ailleurs, de nouveaux usages, tels que les apéros virtuels risquent d’avoir provoqué une augmentation des consommations.
Si le confinement n’a pas créé de dépendance, il a pu aggraver des vulnérabilités, surtout chez les personnes pour qui la vie sociale et le travail étaient des facteurs protecteurs.
Durant ces périodes d’ennui, les usages problématiques d’internet ont également augmenté (jeux vidéo en ligne, jeux de hasard et pornographie) et ce d’autant plus qu’il existait une dépendance auparavant.
Dépression et troubles anxieux
La société a vu une partie de ses valeurs remaniées, demandant à chacun et chacune une très grande adaptabilité. Au-delà de l’angoisse liée à la peur de la contamination, et aux difficultés du confinement, nombreux sont celles et ceux qui ont dû faire face à l’angoisse financière, à la perte d’un proche, l’interdiction des rituels de deuil traditionnels, à la culpabilité et au fait de ne plus être professionnellement et socialement efficient ni valorisé. Des malades ont vu des opérations repoussées, ou ont cessé des soins, augmentant des douleurs chroniques somatiques. La dépression a ainsi pu toucher des sujets déjà vulnérables mais aussi apparaître chez des personnes n’ayant aucun antécédent psychiatrique. Il faut s’attendre aussi, comme pour l’épidémie du SARS en 2003, à l’apparition de dépressions différées.
La plupart des CMP, bien qu’ayant systématiquement proposé un suivi à distance, ont vu une diminution globale des consultations. Les soignants s’attendent donc, avec le déconfinement, à devoir traiter une vague de patients qui ont été moins bien soignés pendant le confinement et évoquent même l’hypothèse d’une explosion des symptômes des troubles du registre dépressif et anxieux.
Risque suicidaire
Les différents facteurs évoqués ci-dessus pour la dépression sont également des facteurs à risque pour le suicide. Les personnes souffrants de troubles psychiatriques qui ont arrêté ou diminué leur suivi en raison du confinement sont particulièrement à risque.
Paradoxalement, les urgences des hôpitaux ont constaté, dès les premiers jours de la médiatisation de l’épidémie en Chine, une diminution des passages pour motif psychiatrique et notamment une diminution des gestes suicidaires. Cette diminution s’est poursuivie, à tel point que, par exemple, au CHU de Lille, les passages pour TS ont été divisés par 3 pendant la première semaine de confinement, en comparaison de la même période moyenne des 3 années précédentes. Un phénomène identique avait été observé juste après les attentats du Bataclan. Des gestes moins nombreux mais avec des moyens létaux plus grave. Pour le Réseau VigilanS de recontacte des suicidants, les TS graves seraient plus visibles parce que justement elles sont moins nombreuses. Et si certaines personnes vulnérables ont paradoxalement été plus entourées pendant ce confinement, des gestes létaux ont pu être interrompus (d’où des patients gravement touchés mais pas décédés).
Depuis la fin avril, les urgences psychiatriques de nombreux hôpitaux, ont retrouvé un rythme normal,
et les pathologies du confinement apparaissent, notamment les bouffées délirantes aiguës de patients affirmant être à l’origine du Covid19 ou en détenir le remède.
Deux publics semblent avoir été plus particulièrement touchés par le risque suicidaire : les étudiants et les détenus libérés. On a constaté plusieurs décès par suicide d’étudiants confinés dans leur studios/chambres, notamment les étrangers, les plus coupés de leurs proches affectifs, dont certains ont été particulièrement médiatisés. Plusieurs cas de défenestrations ont également été rapportés pour des détenus très récemment et parfois très vite libérés, qui étaient passés brutalement et la plupart du temps sans accompagnement, d’une détention légale à une détention sociale.
Enfin, les Médecins Légistes de plusieurs régions ont signalé une baisse du nombre de levées de corps pour suicide, craignant tout de même de découvrir les corps de personnes totalement isolées. Plus tard.
Enfin, la situation terrible dans certains EHPAD très durement touchés par l’épidémie fait également craindre une augmentation de la vulnérabilité ses personnes âgées, public déjà à risque suicidaire (voir dossier).
L’impact de la précarité économique à venir
Dans une interview au journal Le Monde début mai, P. Philip, directeur de la clinique du sommeil du CHU de Bordeaux affirme « Je pense que la vague psycho trauma va être aussi importante que la vague infectieuse qu’on a connue ». Un article de la revue médicale The Lancet avertit pour sa part que le risque suicidaire est majoré de 20 à 30 % en cas de chômage. Beaucoup le craignent en effet que la crise économique et sociale annoncée, l’incertitude sur l’emploi et sur les ressources qu’elle provoquerait vont avoir un impact majeur sur la santé mentale.
Les mois qui viennent vont donc représenter un nouveau défi pour les acteurs de la prévention du suicide. Il va s’agir d’être plus vigilant face à des personnes dont la vie a été radicalement bouleversée, dont certains ont perdu des repères déjà fragiles, pour être en mesure de leur apporter une écoute et des orientations vers une prise en charge réalistes en temps de déconfinement et d’incertitudes accrues.