MONDE CARCÉRAL ET PRÉVENTION DU SUICIDE
Éléments d’information et de prévention
Le suicide en milieu carcéral est une problématique majeure pour l’Administration Pénitentiaire tant vis-à-vis des personnes détenues que des personnels de surveillance. Leur politique de prévention quotidienne luttent contre le grand nombre de facteurs de risques coexistant dans cet environnement.
Le nombre de suicides dans les prisons françaises demeure le plus élevé de l’Europe des Quinze. En effet, le taux de suicide en prison a beaucoup augmenté depuis le milieu du 19ème siècle, aujourd’hui près d’un décès sur deux est un suicide en détention. Les personnes détenues se suicident, à caractéristiques démographiques égales (âge, sexe), six à sept fois plus qu’en population générale. L’Administration Pénitentiaire participe à la Stratégie nationale de prévention du suicide mise en place par le ministère des solidarités et de la santé, ainsi qu’aux travaux de l’Observatoire national des suicides. Alors comment se fait-il que nous retrouvions un tel taux de suicides ? Nous allons dans un premier temps aborder les facteurs de risque « individuels » des personnes détenues, et dans un second temps ceux émanent de la détention
Quelques chiffres des personnes suicidées en détention
En 2019, nous retrouvons 107 morts par suicide en détention + 13 hors détention. Parmi ces personnes détenues suicidées, 46,6% se sont suicidées dans les 100 premiers jours dont 22,3% dans les 10 premiers jours d’incarcération et 24,3% entre le 20ème et le 100ème jour.
Au 30 novembre 2020, nous retrouvons 108 morts par suicide au total dont 102 morts par suicide en détention. L’Administration Pénitentiaire étant inquiète pour la population carcérale du fait de l’approche des fêtes de fin d’année (représentant une période à risque chaque année), cela se mêlant avec la crise sanitaire actuelle impactant les visites aux parloirs et donc le maintien des liens familiaux. Ceci fragilisant le soutien nécessaire dont les personnes détenues isolées ont besoin.
Personnes détenues & facteurs de risques
Une large proportion de la population carcérale est issue d’un milieu défavorisé et connaît une situation de grande précarité, de ce fait, l’incarcération semble souvent être le résultat d’un long processus de désaffiliation par lequel les personnes s’éloignent des systèmes sociaux.
- Addiction : 38% des personnes incarcérées souffrent d’une addiction aux substances illicites depuis moins de six mois, et 30% à l’alcool.
- Formation : 80% ont un niveau inférieur au baccalauréat ; un quart ont des besoins importants dans la maitrise des savoirs de base et 10% sont en situation d’illettrisme.
- Emploi : plus de la moitié sont sans emploi avant l’incarcération
- Psychiatrie : 7,3% des personnes détenues sont atteintes de schizophrénie, 21% de troubles psychotiques dont des psychoses hallucinatoires, 33% d’anxiété généralisée, et 40% d’un syndrome dépressif sévère.
- Au total, huit hommes détenus sur 10 et plus de 7 femmes sur 10 présentent au moins un trouble psychiatrique. La grande majorité en cumulant plusieurs et des dépendances.
De plus, les entretiens cliniques auprès des personnes détenues révèlent de nombreuses carences affectives et de nombreux traumatismes : viols, agressions sexuelles, humiliations, violences physiques et psychologiques, négligence, abandons, suicide de l’un ou plusieurs proches, etc. Ces apports cliniques étant des facteurs de risque suicidaires sont à croiser avec le vécu de l’incarcération, à travers notamment la notion de « choc carcéral » vécue lors d’une première incarcération témoignant d’un excès d’angoisse que cette dernière réactive.
En effet, il est important de souligner que tous les sens des personnes détenues sont bafoués lors de leur incarcération. En effet, comment se projeter dans l’avenir lorsque l’on ne voit qu’à travers des barreaux, des barbelés et des caillebotis ? Ou lorsque les odeurs sont celles de la détention et de la cuisine de collectivité, que ce que l’on touche n’est que fer, que l’intime ne peut exister, que ce l’on entend n’est qu’insultes, bruits de clefs, et cris ? Ou bien encore que nos actions (mouvements, appels téléphoniques, douches) sont soumises au bon vouloir de l’interdit et/ou de l’acceptation d’un Autre. Ainsi, le sentiment de perte d’autonomie dans différents registres : se déplacer librement, manger à son goût, choisir ou éviter certaines fréquentations, disposer d’une intimité et d’une distance relationnelle protectrice suffisantes, s’exprimer et organiser son temps, etc. accompagne fréquemment le sentiment d’indignité et d’inutilité. Cela se manifestant par de la violence auto-agressive et/ou hétéro-agressive que les personnels de surveillance doivent gérer chaque jour. Quotidien professionnel difficile et compliqué pour une population professionnelle fragilisée.
Suicides des personnels de surveillance
En 2009, le personnel de l’administration pénitentiaire a connu une vague de suicides, majoritairement la catégorie la plus touchée par ces actes suicidaires est celle du personnel de surveillance. La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) a donc organisé des groupes de travail afin de dégager des pistes d’actions et d’endiguer ce phénomène. Deux études ont été réalisées entre 2010 et 2015 afin d’appuyer les échanges sur des données scientifiques et de proposer des préconisations relevant de la réalité du terrain. Ainsi, la première Etude action sur la prévention du suicide des surveillants pénitentiaires – rapport final mars 2011 a conclu qu’à structure de population équivalente, le taux de suicide dans l’administration pénitentiaire est significativement plus important (+31%) que celui de la population générale. De plus, dans plus de la moitié des cas, la vie professionnelle a contribué au passage à l’acte suicidaire. Cependant, la deuxième Etude sur la mortalité des agents de l’administration pénitentiaire 1990-2008 : description et analyse – rapport final mars 2015 conclut à l’absence de surmortalité, toutes causes confondues, chez les agents pénitentiaires par rapport à la population française générale. En revanche, un excès de suicides est observé chez les hommes (+21%) en particulier chez les surveillants et les adjoints techniques. Cette deuxième étude souligne également que l’excès de suicides n’a probablement pas « une origine unique » et note que les surveillants « sont exposés à des contraintes psychosociales reconnues délétères pour la santé psychique et pouvant constituer un élément déclencheur des conduites suicidaires ».
De ce fait, afin de prévenir les risques suicidaires des personnels pénitentiaires qui connaissent des conditions de travail particulières – cycles horaires, statut spécial, sous-effectif chronique, heures supplémentaires – une fiche a été créée et présentée lors de la séance plénière de l’Observatoire national du suicide du 13 novembre 2015 présentant les actions mises en place pour ces professionnels. Ces dernières concernent l’amélioration des procédures de recrutement des personnels pénitentiaires, la réflexion sur les conditions de travail et les parcours professionnels, la mise en place d’actions d’information, de sensibilisation et de formation, ainsi que d’un réseau de soutien institutionnel en direction des agents, et l’instauration d’actions de soutien social en direction des personnels.
Depuis, ces actions ont perduré et les axes de travail liés à la santé, la sécurité et la qualité de vie au travail ont été réaffirmés dans le but de prévenir la détérioration de la qualité de vie de ses agents, et d’offrir le maximum de possibilités d’accompagnement et de soutien.
Prévention du suicide en milieu carcéral
L’administration pénitentiaire continue de travailler sur la prévention du suicide en milieu carcéral et met en œuvre de nombreuses actions depuis le plan d’envergure signé en 2009 articulé autour de cinq grands axes qui comprend :
- Le renforcement de la formation des personnels pénitentiaires à l’évaluation du potentiel suicidaire
- L’application de mesures particulières de protection pour les personnes détenues en crise suicidaire
- Le développement de la pluridisciplinarité au sein de la détention
- La lutte contre le sentiment d’isolement au quartier disciplinaire
- La mobilisation de l’ensemble des membres de la « communauté carcérale »
De plus, le garde des sceaux a demandé en août 2020 le lancement d’une mission d’inspection sur la prévention du risque suicidaire en détention mais comme le fait remarquer la socio-historienne, spécialiste des politiques carcérales et directrice de recherche au CNRS, Martine Kaluszynski, la politique de prévention ne peut faire l’économie d’une réflexion globale sur la détention. En effet, nous retrouvons au sein des prisons françaises une manifestation de conditions particulièrement difficiles tant du côté des personnes détenues que de celui des personnels, confrontés à un manque de moyens humains et matériels. Là où se mêlent empathie et déshumanisation au quotidien et où il serait primordial de réhumaniser tant le quotidien professionnel des personnels de surveillance et leurs missions, ainsi que les préjugés dont souffrent les personnes détenues même après leur période d’incarcération.
Pour terminer, un questionnement restant toujours sans réponse concernant le fait que la prévention du suicide est une question de santé publique, alors que les gouvernements successifs persistent dans leur refus de transférer cette compétence de l’Administration Pénitentiaire au Ministère de la Santé. En effet, nous ne pouvons dénier l’impact des conditions de détention sur l’état psychologique des personnes détenues, mais nous devons prendre en compte l’indispensable restauration de la personne dans sa dimension de sujet acteur de sa vie.